L'expérience ICE est un projet de R&T soutenu par le CNES depuis 2006. Il consiste à comparer la chute libre, en micropesanteur, des atomes de deux matières différentes, refroidies pratiquement au zéro absolu, et qui se comportent alors comme des ondes. L’objectif est de vérifier le principe d’équivalence énoncé par Einstein.
À bord de Airbus A310 zero-G de Novespace, l’expérience ICE a montré que des atomes de rubidium et de potassium chutent à la même vitesse en microgravité, malgré une différence de masse d’un facteur deux.
Au-delà du tour de force technologique, cette expérience constitue le premier test de l’universalité de la chute libre avec des objets quantiques en micropesanteur.
Dans l’ascenseur qu’imaginait Albert Einstein en 1908, un physicien, enfermé dans une capsule subissant une accélération constante, observe une modification de la pesanteur et donc de la chute libre des corps. C’est la conséquence directe du principe d’équivalence, principe fondamental de la gravitation, qui stipule notamment que la masse inertielle et la masse gravifique sont égales, justifiant ainsi l’équivalence de la chute de corps de masses de compositions différentes.

Chambre à vide de l'expérience ICE
© lP2N
Si ce principe est déjà largement vérifié avec des objets de grande taille, il est aujourd’hui possible de le tester à l’échelle microscopique, avec des atomes refroidis à quelques millionièmes de degrés au-dessus du zéro absolu au cœur de capteurs inertiels quantiques.
A bord de l’Airbus A310 zero-G de la société Novespace, qui reproduit les conditions de l’ascenseur imaginaire d’Einstein, l’équipe de chercheurs a embarqué un double interféromètre à ondes de matière pour tester l’université de la chute libre résultant du principe d’équivalence. Ce type d’interféromètre est aujourd’hui utilisé et commercialisé pour mesurer, au sol, les variations du champ de pesanteur avec une précision inégalée (1 :1000000000, soit 100 fois plus petit que l’effet des marées).
Un double gravimètre quantique, utilisé lui aussi au sol, permet de vérifier l’universalité de la chute libre avec une précision équivalente. Mais pour atteindre et dépasser la précision des meilleurs tests actuels (10-13) ou futurs (mission MICROSCOPE, 10-15), il faut utiliser ces interféromètres en l’absence de pesanteur. C’est cet environnement que simule l’Airbus A310 zéro-G lorsqu’il décrit des paraboles dans le ciel.

Le double interféromètre est installé à bord d’un avion zero-G dont le vol parabolique provoque 20 secondes de microgravité. Le système embarqué permet de compenser la rotation de l’avion et de la Terre. © Barrett et al. 2016.
L’utilisation d’un double accéléromètre quantique lors du vol parabolique oblige à surmonter de nombreuses difficultés que l’on retrouve, à moindre échelle, dans des missions spatiales en orbite autour de la terre. La rotation rapide de l’avion -correspondant à un tour par minute- ainsi que les fortes vibrations liées au vol –jusqu’à un centième de la pesanteur-, limitent drastiquement les temps de mesure accessibles, ainsi que l’exactitude avec laquelle la mesure peut être effectuée.
Lors des campagnes de vol, l’équipe de chercheurs a pu étudier en détail l’influence de ces perturbations, ainsi que les méthodes pour s’en affranchir. Ils ont ainsi pu réaliser un premier test du principe d’équivalence en micropesanteur avec des performances certes limitées, mais bien en dessous des limites imposées par l’avion.
Cette première réalisation est une étape fondamentale dans la longue marche vers une future mission spatiale, qui viserait à repousser les limites de précision du test du principe d’équivalence pour confirmer ou infirmer certaines théories alternatives à la gravitation. Mais c’est aussi la première fois qu’un tel niveau de performance est atteint avec un capteur inertiel quantique en conditions réelles, performances qui égalent déjà, d’ailleurs, celles des meilleurs accéléromètres embarqués dans les systèmes de navigation.
Ces résultats permettent d’anticiper de futures mesures effectuées dans l’espace, où les contraintes techniques sont nombreuses mais dont la microgravité permettrait de dépasser la précision maximale actuelle qui est de 10-13. Constater une différence, même infinitésimale, ouvrirait la porte aux théories qui violent le principe d’équivalence, comme la théorie des cordes.
Références de la publication
Brynle Barrett1, Laura Antoni-Micollier1, Laure Chichet1, Baptiste Battelier1, Thomas Lévèque2, Arnaud Landragin3, Philippe Bouyer1, Dual matter-wave inertial sensors in weightlessness, Nature Communications, 12 décembre 2016. DOI : 10.1038/NCOMMS13786.
1 LP2N, IOGS, CNRS and Université de Bordeaux, rue François Mitterrand, 33400 Talence, France
2 CNES, 18 avenue Edouard Belin, 31400 Toulouse, France
3 LNE-SYRTE, Observatoire de Paris, PSL Research University, CNRS, Sorbonne Universités, UPMC Univ. Paris 06, 61 avenue de l’Observatoire, 75014 Paris, France
Contacts
- Contact scientifique : Philippe Bouyer, chercheur au LP2, philippe.bouyer at institutoptique.fr
- Co-auteur : Thomas Lévèque, thomas.leveque at cnes.fr
- Responsable de la thématique Physique Fondamentale : Isabelle Petitbon, isabelle.petitbon at cnes.fr